Manifeste - Tout recommence à Bata.

Le Laboratoire des Hypothèses, collectif d'artistes explorateurs et expérimentateurs a imaginé un workshop d'une semaine en immersion sur le site de Bataville. A la façon d'un équipage et selon leurs expériences passées, ils y ont accueilli du lundi au samedi deux groupes d'étudiants, l'un en provenance de la Faculté des arts de Strasbourg, l'autre issu du Master arts de l’exposition et métiers de la scénographie de l'Université de Lorraine Site de Metz.

A la croisée des chemin entre les deux ville, Bata s'est offert comme un site propice à l'exploration. Ilot industriel en territoire rural, l'ensemble formé par la cité et l'ancienne usine semblait prolonger les divers sites et péninsules déjà étudiées par le Laboratoire des Hypothèses (Ile Pelée, Banc de Bilho, Meymac, Malte...).

Comme à son habitude, le groupe a proposé l'application de méthodes d'observation et d'analyse spécifiques afin d'explorer au mieux ce territoire encore inconnu et ses particularités (relief, population, climat, activités, histoire, faune...). Le modèle du système Bata et son organisation ont induit chez Le Laboratoire des Hypothèses l'application d'une nouvelle méthode : être « Au service de », tout comme Bata était au service de ses employés.

Pourtant, la confrontation avec cet équipage étudiant inattendu a produit des nouvelles méthodes inédites, prouvant que les préconisations initiales et paternaliste du capitaine étaient propices à générer des détournements, des appropriations et des discours critiques chez les équipiers novices...

Voici ici le premier des comptes-rendus de cette expédition d'un genre particulier.



Mai 2016 - Paris, capitale.
Romaric et le capitaine en pleine discussion sur les risques de mutinerie au sein du labo. Romaric semble de bon conseil et suit les mouvements de fond du groupe au pré serré - ne les mène-t-il pas?
Puis, c'est une femme qui surgit.

Au beau milieu des compères agités de mille feux, Lise passe inaperçue.
Froids comme des homards, ils toisent tout d'abord la femme, jusqu'à ce qu'un mot s'échappe de l'onde humaine : BATA.
Les lobbes du capitaine se redressent. BATA? Un Navire?
Lise joue de son effet, laisse plâner le doute, elle marmonne. La logorrhée qui s'en suit séduit le capitaine alors que, paume sur le coude, Romaric tente de le résonner. Tchéquie... Équipage... Bottes... Naufrage... Le sang du capitaine ne fait qu'un tour.
Pour lui c'est alors clair : Tous à BATA!

Divagant, il disparaît dans la foule laissant interdits Lise et Romaric. Les voilà chargés de régler les détails techniques de l'expédition.

Octobre 2016 - L'expédition est prête.
Le Capitaine, jusqu'au cou dans les cartes, cherche BATA. De sa base-réception radio, il scanne le spectre, scrute l'hypothétique signal d'un navire BATA.
Mais rien.
Alors que le staff mécanique met la dernière touche à L'anatife1\, que l'équipage rassemble vivres et caisses, le capitaine n'a glané en 6 mois aucune information sur BATA. C'est une zone inconnue. Ceci semble le pousser à engager son équipage dans l'affaire.

Huit hommes et femmes triés sur le volet sont dans la barque.
Charline, Eddy, Jocelyn, Arthur, Fred, Sophie, Romaric qui supervise les préparatifs, et le Capitaine tout flammes embarquent dans l'Anatife. C'est donc dubitatifs que les membres du labo s'enchâssent les uns dans les autres et dans l'habitacle du vaisseau des routes, vers l'inconnu.

Pesante, l'atmosphère laisse à peine au 5 cylindres l'air de la compression.
Qu'allons-nous trouver là-bas?
BATA, à l'instar de l'Île Pelée existe-t-elle?
Eddy semble certain de détendre l'atmosphère avec son récurrent "BATAVILLE tous les matins, si tu ne sais pas pourquoi, elle, le sait"
Silence de Mort.
Et ce n'est pas la fibre féministe qui scelle le caquet du labo - Charline et Sophie à cet instant précis bavent à l'arrière de la berline - non.
L'équipage est mort de trouille, c'est un fait.

30 octobre, 20h - Bata apparaît.
Point d'horizon, une forêt infinie.
Point de Vahinés, des taupes.

Moaï, le capitaine semble fouiller dans ses ressources - son pancréas fourré au rhum - pour lancer dans le froid mosellan un héroïque :
"Ben Voilà, c'est BATA."

Première nuit. L'équipage, sonné, marche sur la tête.
Ici c'est la Terre. Rien ne transpire, sauf les autochtones dans leurs bonnets.
Pas un bruit. Le premier oiseau marin - selon Jocelyn - se trouve à près de 667 kilomètres (360 milles marins).
C'est l'abattement, l'enthousiasme du contribuable au couperet de l'état.
Nous sommes perdus.
Le dimanche qui suit n'est que débandade, détumescence sociale, naufrage industriel, car, au delà de la forêt, rien que des ruminants.

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Lundi 31 octobre, 8h - Le retour de Lise.
Lise rue dans les brancards : "Bande de feignasses, C'est BATA aujourd'hui". "Debout les braves, loosers, tire-aux-flancs!"
L'équipage - ivre mort de la veille - sursaute. Le soir du dimanche alla de déperdition en écoulement du stock de côteau du Layon "un moelleux pour chaque moussaillon!" (dixit le capitaine).
Une barre d'Étel entre les tempes, le labo se meut comme un seul homme, mais en miettes.

Il est 10h, tout le monde sur le pont.

Et c'est une masse.
Trois douzaines de jeunes gens envahissent ce qui la veille fut une piste de danse molle - le capitaine, en arrière-plan, goûte sa douleur.
L'abordage est réciproque.

Saisi à la gorge, le laboratoire échaffaude rapidement une stratégie. Puisque Bata est austère, appliquons nos méthodes d'exloration à distance élaborées à Malte : Les éclaireurs.
Mais faire de ces étudiants des grands gris semble difficile à cette heure. C'est alors sous le jour du chef d'entreprise que le Capitaine réapparaît : "C'est un système complet qu'il faut créer ici", " J'ai résolu de renouveler à Bata les merveilles de l'Égypte".

Une nouvelle méthode émerge alors de la pâte du labo : l'amplification par schizogonie2\.
Les étudiants deviendront des laboratoires à part entière, laboratoires-filles, issus de la cuisse du laboratoire-mère.

Organisés selon des critères physiques, les labo-filles s'égayent dans l'espace et le temps de Bata, traquant l'insularité du lieu.

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Le subtile système mis en place produit les résultats escomptés, une foule de protolabos envahissent le domaine BATA, alors que le labo-mère sirote tranquillement son jus de pomme bio. Les chevilles ouvrières de la nouvelle ère du labo glânent mille indices de la vie de Bata et des systèmes jadis en oeuvre dans la zone.
Bata, comme le labo, faisait tout.

Le moindre élément technique était pris en charge par l'entreprise. Réparation, décoration, taille de haie, un coup de fil et Bata débarquait avec force multimètres, papier peint ou sécateurs.
Le labo en déduit cette nouvelle méthode : "Au service de" et devient chaque jour plus Bata.

Perché sur la colline, le labo scrute au sud l'usine figée et sur l'autre versant les pavillons alignés. De loin en loin, des points ératiques redessinent la ville, on y voit plus clair, Bataville, par bribe, apparaît, vaisseau à l'ancre sur une mer de forêt et de déboires.



Le système est en place, la structure est huilée, à chaque instant les essaims parcourent, arpentent le site, une quantité infinie de données parvient au labo-mère qui compulse, assemble, analyse et transmet des conclusions toujours surprenantes.
Bata était un système autoritaire en équilibre, les abeilles, les batamen et batawomen, s'affairant sans cesse à rendre la chaussure plus commune, le pied plus international.
Tous roulait, tout allait, tous les ouvriers sous l'oeil des contremaîtres appliquaient le programme. Rien ne dérogeait, pas un brin ne dépassait des bordures, la vie s'écoulait au rythme des machines à emboutir.

Le Laboratoire des hypothèses suit ce schéma, la presse des méthodes conditionnant les étudiants pour n'en faire qu'un ininterrompu et maîtrisé flot mécanique, un continent étudiant.

Méticuleux, arthur et Romaric scrutent les moindres faits et gestes des labomen et labowomen qui n'ont de cesse de soulever le moindre coin du tapis Bata.

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C'est alors qu'un grain s'immisce. C'est alors que, hors de la vue du capitaine même, une bifurcation s'opére dans le grand théâtre de la salle de bal.
Des labomen, redeviennent étudiants, ils reconstruisent peu à peu ce qu'ils furent la semaine précédente, des êtres pétris de doutes et de pulsions, prêt à remettre en cause le monde et à plus forte raison, le labobatamonde.

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Les labo-filles, sans n'en donner aucun indice, glissent sur les bordures, hors des terre-pleins balisés. Ils dévient, sortent du cadre et prennent la poudre. Leurs mouvements deviennent plus difficiles à percer à jour



C'est un mouvement irréversible, les labo-filles détricotent ce que Charline avait mis des années à tricoter, le continuum du laboratoire, le contrôle des espaces et des temps par la modélisation.
Ce que le labo-mère modélisa, les labo-filles le démodélise, avec l'aide de leurs professeurs, Lise, en tête.

Le fil qui relia un temps ces êtres auxquels le labo avait tout donné, gîte, couvert, lits de fortune, chauffage aux pellets, se distend vitesse grand V.
La dépendance des filles à la mère se fait tout à coup moins absolue, les discours du capitaine sont pris à la légère, des voix murmurent.
Les expériences sont soi-disant déjà vécues.
Parmi ces nouveaux chercheurs, beaucoup disparaissent, laissant leurs collègues en prise à l'angoisse d'une solitude qui les amène à organiser des sauvetages. Ils oublient les méthodes, ils construisent des radeaux, fuient sur les eaux, flottent entre les berges et abandonnent le labo et son capitaine à un destin solitaire.

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Ce que Bata fit, les étudiants le défont, diluant le labo-mère pour reconstruire un monde sans lui.
C'est l'autonomie que cherchait Bata qui coule le laboratoire des hypothèses, et ce sont les ouvriers qui lâchent les frêles esquifs du pouvoir central.
Le capitaine semble s'enferrer dans le déni, prolongeant à l'infini sa logorrhée pour les herbes et les fougères.

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1 - Le véhicule terrestre du labo, une camionnette en somme.
2 - schizogonie, un mode de reproduction asexuée des unicellulaires aboutissant à la création d'une multitude cellules filles identiques en tout point à la cellule mère.
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