Expédition Bilho 2015
une équipe à la poursuite du banc.
Journal d'Eddy :
L'îlot Bilho
J-5 : L'anse - Le panier (Cherbourg-Marseille)
Lors de notre dernière rencontre à Cherbourg, Fabrice Gallis m'a proposé de me joindre à son équipe pour explorer l'îlot Bilho - dernière île de la Loire avant l'Atlantique.
Tentante proposition, première étape, première expérience insulaire qui nous servirait dans l'accomplissement d'un projet ambitieux et passionnant : la création d'un centre de recherches autonome sur l'île Pelé, dans la rade de Cherbourg.
Mais je déclinais son invitation pour cause de calendrier trop chargé.
Je le rappelais quinze jours plus tard.
Après toutes les aventures que nous vécûmes ensemble, le capitaine connait mes faiblesses et mes tentations.
Cet animal avait réussi en quelques mots à semer le trouble dans mon cerveau et mon planning.
J'acceptai donc.
Nous conclûmes néanmoins un accord pour réduire la période in-situ à une semaine, en préparant l'expédition à distance.
Me voici aujourd'hui rue du panier à Marseille, sur cette butte millénaire à l'implantation architecturale grecque qui surplombe les quartiers mouvants alentours.
Le panier, une île; tout m'y ramène désormais.
Le projet a avancé entre-temps.
L'équipe s'est constituée* et notre but ultime et caché s'est révélé.
Apprendre l'île, l'arpenter, l'expérimenter, la relever dans ses fondements, ses frondaisons, ses grains de sable, ses occupants.
Et pourquoi pas, la voler par un tour de passe-passe à la Loire et la remonter en rade de Cherbourg pour en faire notre base ultime?
Le convaincant capitaine a entraîné avec nous une équipe de radio-amateur et les adhérents du club nautique de Méan sur la rive droite de l'estuaire, qui pourraient nous fournir un moyen de communiquer, le camp de base et l'escorte pour le Saint-Ortaire** .
* Capitaine : Fabrice Gallis
Script et Constructeur : Eddy Godeberge
Ornithologue, Oeil, Oreille: Jocelyn Desmares
Film Maker : Frédéric Leterrier
Bâtisseuse : Charline Guyonnet
Cadreur Kinésithérapeute : Arthur James
Radioamateur : Christophe Toublanc
** le navire d'exploration du Laboratoire des Hypothèses
J-3 : Oeufs brouillés
Sans même prendre le large, nous venons d'essuyer une tempête.
Hier, Fabrice m'a appris que nous n'avions plus le soutien du port de Méan.
Des complications dues à des mésententes au sein de l'association portuaire nous coupent de notre base principale, de l'escorte et surtout, du soutien précieux des habitués de l'estuaire.
De plus, des ornithologues locaux nous ont prévenus que l'îlot était en ce moment la zone de nidification du goéland argenté, espèce en raréfaction.
Et donc qu'il serait délicat voire impossible pour nous de mettre les pieds sur l'île, pour leur survie et notre sécurité, le goéland étant réputé peu aimable pour l'explorateur écrasant ses oeufs.
Le capitaine est abattu.
Seuls les radio-amateurs nous soutiennent encore, mais d'ou émettront-ils?
J-1 : Rive gauche
Nous avons changé nos plans.
Nous poserons notre base dans un bungalow du camping de Saint-Brévin à quelques kilomètres au S.O. de Bilho, une technique expérimentée par Ed&F. - La branche communication du labo - à Fourchambault, dans la Nièvre.
De là, nous arpenterons la côte sud et poserons peut-être une deuxième base sur l'île Saint-Nicolas, plus petite et, nous l'espérons, moins peuplée de goéland.
Nous tenterons quand même de débarquer sur Bilho en suivant les consignes strictes des ornithologues locaux et avec l'aide de l'ornithologue de l'équipe.
Nous devrons pour cela construire un abri flottant ou déguiser le Saint-Ortaire pour arriver furtivement.
La possibilité d'arriver en sous-marin a été immédiatement rejetée suite à nos déboires à Plélan le Grand.
Nous nous retrouvons ce soir.
Jour 0 - RDV au PCP
Dom, notre appui local me conduit vers le camp de base 0, le Pôle de Création Partagée, où l'équipe se rassemble pour la première fois.
Je retrouve avec émotion le capitaine et Charline, notre constructrice et rencontre Fred, le vidéaste et Jocelyn, l'ornithologue de l'équipe.
Nous sommes quasiment au complet, Arthur notre reporter poète doit arriver demain soir.
Nous ne nous attardons pas en présentations, le capitaine déplie illico les cartes de l'estuaire.
Il faut bien se l'avouer, nous manquons de préparation pour cette nouvelle expérience.
Les informations que nous détenons sur Bilho sont sommaires, pour peu que cet adjectif corresponde à l'addition de ragots locaux et de vidéos basse définition sur youtube.
Mais le cap' balaie nos incertitudes d'un revers de ses bras immenses.
Nous nous effondrons aux quatre coins de notre base provisoire.
Je ne sais pas à quoi pensent les autres, mais je sais que cette vieille sensation que l'aventure a commencé est de retour.
Et c'est tant mieux.
Jour 1 : Estuaire
Nous embarquons dans le Néréis, véhicule terrestre officiel du Labo, capable d'accueillir les 7 personnes de l'équipe et le matériel, Saint-Ortaire compris.
Nous longeons les berges sud de l'estuaire.
Berges molles s'il en est, vaseuses peu propices à l'appareillage, inaccessibles pour cause de canal d'irrigation, de vaches endormies ou de problème de sens d'orientation.
Bref, nous partirons de la pointe de l'Imperlay, proche du camp de base 1 – bunker plastifié avec terrasse et vue mer – avec l'îlot tout droit, plein nord.
L'après-midi, les gars de l'amicale des plaisanciers du port de Méan nous douchent façon écossaise.
Contre-courant de 7 nœuds à l'étal, dangereux au flot, mortel au jusant, malédiction de l'île aux lépreux, rochers rasoirs :
l'accès à Bilho nous est narré sans espoir et devant nos têtes dépitées, les gars, plus sympas que la mer qui les entoure, nous paient un canon qu'on double par désespoir.
Nous réintégrons notre mobil-home juste à temps pour retrouver Arthur et le briefer sur notre programme.
J2 : Born to Bilho
Pointe de l'Imperlay, 6h.
Nous partons pour affronter la mer et La loire réunies à l'étal.
Le Saint-Ortaire démarre comme une horloge et s'avale ses 2 traversées relax.
Nous crânons comme des enfants qui sont allés à la cave sans pleurer et entamons notre première journée sur Bilho.
Fabrice, Charline et Arthur ont vite délaissés l'île Saint-Nicolas, pressentie comme base relais pour venir nous rejoindre sur Bilho.
Un hectare d'îlot carré sans abri, contenu par une fortification et défendu par des goélands agressifs, ça vous décide rapidement.
Sur Bilho nous procédons à une analyse que nous voudrions exhaustive et rationnelle, mais à mesure que nous avançons, l'émotion nous submerge.
Banc de sable désertique à l'ouest, forêt de tamaris mêlés de frênes et de ronciers, grandes prairies veinées de rus, strates de coquilles de palourde, shore de sable brun ou de vase, noisetier solitaire, oiseaux par milliers sifflotant ou criards, objets échoués composant d'étonnants tableaux, nous ne nous attendions pas à tant de richesses.
Cependant, nous devons nous reprendre, nous faisons le tour de l'île pour y repérer les matériaux utiles à notre mission, Jocelyn fait une évaluation de la faune et flore de l'île, Arthur et Fred la photographient sous tous ses angles, nous préparons notre campement avec Charline car la nuit ne va pas tarder.
Première surprise du coté animal, outre le ragondin que nous avons tous aperçu, il semblerait qu'il y ait des sangliers.
Jocelyn a remarqué plusieurs traces de pas, un excrément luisant et fumant et l'empreinte de leur jeu dans une vasière.
Si la météo nous obligeait à rester sur Bilho, ce pourrait être une solution pour notre alimentation...
Nous avons encore le temps de délimiter un périmètre dans la partie sableuse de l'île afin de l'étudier, pour pouvoir le modéliser et le reproduire ailleurs.
En hommage au seul membre féminin de l'équipe, nous dénommons notre mesure étalon, l'étalon Charline.
Pour information, Bilho fait environ 1150 Charline de long.
Le cap' constate que sur son mètre s'agglomère de la limaille de fer provenant du sable.
D'après notre estimation, le banc ayant un volume de ~500000m3, il nous faudra par la suite calculer le pourcentage de limaille dans le sable et son cubage pour déterminer l'influence magnétique de Bilho sur son environnement.
Pourrions-nous déplacer l'île à l'aide d'un gigantesque électro-aimant?
Epuisé par toutes ces émotions et ces découvertes, je m'endors la gueule dans le sable ferreux.
J3 : F4FDY
Réveil à l'aube, le vent a forci, nous tentons un aller-retour pour récupérer Albert, le radio-amateur qui activera* Bilho.
A peine à l'eau, nous comprenons que la traversée d'hier était un cadeau de la Loire.
Ça gîte sévère, nous prenons des paquets de mer dans la gueule, le moteur, par moment hors de l'eau, a des hoquets.
« Vent d'estuaire contre marée force la houle », me hurle le Cap'.
Nous affrontons maintenant un violent courant, quand il forcit en passant au dessus des bancs de vase près du chenal central.
Nous n'avons plus de direction précise, nous sommes happés par des tourbillons vicieux qui apparaissent et disparaissent au gré de l'humeur ligérienne.
Les vagues nous prennent par tous les bords, petites teignes qui nous donnent des coups d'épaule pour provoquer la bagarre.
Le cap' s'approche et s'écarte de moi, je ne comprends pas trop son manège, puis comprends que c'est le Saint-Ortaire qui se plie et se déplie dans l'étau liquide.
Je ne vois plus la cote depuis un moment quand un dernier maelstrom nous crache hors de l'enfer.
Nous accostons 5 min plus tard pour embarquer Albert.
Malgré nos recommandations, il reste debout sur le pont, un grand sourire aux lèvres qui semble apaiser les éléments car notre retour se fait sans encombre.
Nous ne déposons pas Albert sur Bilho, c'est lui qui y bondit et trace dans les sentiers pour rejoindre la base, sans qu'aucun d'entre nous n'ait besoin de lui indiquer la direction.
Nous nous retrouvons tous rapidement sous l'abri autour de lui alors qu'il transmet nos images par radio au PCP où sont installés ses collègues radio-am' (on dit comme ça quand on s'y connaît).
Bilho vient de perdre sa virginité radio.
* émettre d'un lieu pour la première fois. Opération validée par la suite.
J4 et 5 : Préparation méticuleuse pour une modélisation précise de Bilho en milieu continental ou Bilho les Adieux
Nous avons rendu Albert-F4FDY à la terre.
Avec Charline, nous construisons une remorque DbB* qui nous permettra de rassembler les éléments qui constituent l'île.
Nous sommes aidés par Jocelyn, mais celui-ci, nous quitte régulièrement en courant pour admirer le gorge-bleue à miroir ou l'envol du colvert.
Fred et Arthur auscultent Bilho et le cap' court partout en chantant.
Nous avons pris les mesures d'un ancien abri bois découvert près de la forêt de tamaris et de la bauge à sangliers, preuve irréfutable parmi d'autres (hamac précaire, amulette blairwitchienne, sculptures éphémères) que nous ne sommes pas les premiers êtres humains sur l'île.
Qu'importe, telle n'était pas notre mission.
Nous organisons des tas autour de l'île pour venir les récupérer avec le navire.
Bois flotté, bois de construction, objets plastiques dont certains nous servent comme matériel, sable, squelette, ferraille..
Nous n'emportons pas d'espèce animale ou végétale vivante par peur de contaminer le continent avec une espèce endémique.
Nous tenterons de reproduire la flore en plantant les espèces répertoriées sur notre modèle.
Nous n'abordons pas le problème du cas «sanglier».
Au bout d'un moment, il devient clair que nous nous agitons pour masquer notre émotion liée au départ de Bilho.
Je tente d'expliquer au capitaine que nous devrons absolument revenir pour rapatrier d'autres éléments, mais celui-ci n'est pas dupe et s'il a une qualité, c'est bien celle de ressentir le moral de son équipe.
Il nous réunit sur le shore et nous donne le signal du retour.
J'ai glissé dans ma poche un peu du sable de l'île sans doute dispersé par le vent car plusieurs membres de l'équipe s'essuient discrètement leurs yeux humides.
Nous rapatrions notre camp vers la base 0 pour dévoiler au monde l'ampleur de nos découvertes.
Nous reviendrons.
*Done by Bilho